La Levée 14 mars 2005
L’assassinat de «Monsieur Liban» semble avoir uni la population libanaise. Il y a six décennies, Tokyo brûlait. Ward Churchill a dit des choses pas fines sur les États-Unis aux lendemains du 11 septembre 2001. La privatisation de la guerre est l’industrie de l’heure. Attention : ne pas mélanger la politique et la religion !
Mouvements pro-syrien au Liban
Le lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, l’ex-premier ministre libanais, a eu lieu un grand mouvement de protestation contre la présence des troupes syriennes aux pays des cèdres.
Mais le Liban n’est pas un pays unidimensionnel et on a vu un autre groupe, entre 200 milles et un demi-million de musulmans chiites se mobiliser pour appuyer la Syrie, mais surtout pour dénoncer la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU qui demande le retrait des troupes syriennes et le désarmement de l’aile armée de l’Hezbollah.
Les musulmans chiites sont la plus grande communauté religieuse du Liban, 40% pop.
Bien que les chiites ne tiennent pas nécessairement à voir les troupes syriennes partir, c’est le désarmement de l’Hezbollah qui les inquiètent.
Les Chiites sont très actifs au Moyen-Orient en ce moment : la Syrie est menée par un régime chiite, l’Iran est une nation chiite et les Chiites irakiens sont sortis en grands nombres pour prendre le pouvoir en Irak lors des élections du 30 janvier.
Ça prit du courage pour sortir dans les rues du Liban pour dire merci à la Syrie d'être intervenu pour mettre fin à la guerre civile libanaise... suite à trois semaines de manifs continue qui disaient le contraire.
Et tout ça, à 300 mètres d’un groupe à l’autre.
Pour des milliers de manifestants fidèles à l’Hezbollah, qui ont eux-mêmes combattus les Israéliens au sud du Liban : l’implication des ÉU équivaut à un retour des menaces venant d’Israël.
En fait, on voit une opposition entre les pro-Hariri, plutôt chrétiens et ayant l’appui de l’administration Bush et les pro-syriens qui ont manifestés à Beyrouth mercredi qui tiennent à l’autonomie du Liban face au duo ÉU/Israël.
Semblerait que les 15 000 troupes syriennes qui étaient allées au Liban pour cesser la guerre civile se retireront au moins jusqu’à la frontière de la Syrie.
Reste à voir si elles s’installeront du côté libanais ou syrien.
On assiste donc à une révolution du cèdre : si on peut dépeindre les Chiites de l’Irak comme des défenseurs de la démocratie, on ne peut pas dépeindre les Chiites du Liban comme des terroristes, même s’ils sont sous l’aile de l’Hezbollah, une organisation terroriste selon Israël et les ÉU.
Il reste à voir comment Washington va interpréter la mobilisation chiite de mercredi, gageons que ça sera bourré de contradictions et de paroles creusent…
60ième anniversaire des bombes de feu sur Tokyo
Le 10 mars 1945 a eu lieu une des plus grandes atrocités de la deuxième guerre mondiale : le bombardement au feu de la ville de Tokyo qui a tué 100 000 civils innocents.
Au milieu de la nuit, 334 B-29 ont volé très bas dans le ciel et ont largué un demi-million de bombes incendiaires sur la ville endormie.
Le but était de causer le maximum de carnage dans une ville surpeuplée fait de bâtiments en bois.
Même les rivières de Tokyo n’était pas un refuge, tous ceux qui y plongeaient pour échapper l’enfer ont été bouillis à mort.
Les bombes étaient remplies de gelée de pétrole, un prototype pour le napalm qu’on a fait pleuvoir sur le Vietnam vingt ans plus tard.
La gelée de pétrole se collait à tout et transformait même l’eau en feu.
Les bombardements ont donc incinéré 15 kilomètres du centre de Tokyo, aujourd’hui ce sont les quartiers chics de la métropole.
Lorsque le bombardement du Japon avait cessé le 15 août 1945, plus de 70 villes avaient ainsi été réduites à la poussière et plus d’un demi-million en sont mort.
L’architecte des attaques, le Général américain Curtis LeMay, avait même dit que si les alliés avait perdu la guerre, ils auraient sûrement été amenés en justice pour crimes de guerre.
Le bombardement de Tokyo avait servi d’école à toute une génération de chefs militaires pendant la guerre froide.
Le général LeMay était devenu le chef du US Air Force en 1961.
Robert McNamara, un statisticien qui avait contribué à l’organisation du bombardement de Tokyo, d’Hiroshima et de Nagasaki était devenu secrétaire à la défense en 1960.
C’est lui qui a autorisé le bombardement de vastes zones du Vietnam avec des bombes de napalm et d’Agent orange.
Le bombardement de Tokyo est un point tournant pour la pratique de la guerre au 20ième siècle, le moment où les arguments moralistes contre le massacre de citoyens innocents ont disparus devant le rationalisme instrumental militaire.
Le Japon préfère oublier l’événement et n’en parle pas.
C’est une attitude dangereuse parce que lorsqu’on oublie à quel point la guerre est horrible, on craint moins de s’y embarqué à nouveau…
Ward Churchill : la gauche radicale américaine sous enquête
Ward Churchill est un professeur du département d’études ethnique à l’université du Colorado.
Le lendemain des attaques du 11 septembre 2001 contre les tours du world trade center et le pentagone, il a causé tout un tollé en disant qu’un certain nombre de victimes de cette attaque n’était pas tout à fait innocent.
Il a dit que les attaques contre les techniciens de l’empire américain était un exemple d’une réplique «pushing back» contre les abus du pouvoir global des États-Unis.
Qu’un certain nombre de victimes du 11 septembre était des petits Eichmann de l’empire, en référence à l’architecte de l’holocauste mené par le régime nazi.
Il a publié un essai où il explique sa thèse plus en détail dans le livre intitulé «On the justice of Roosting chickens : reflections on the consequences of US Imperial arrogance and criminality»
Roosting chickens fait référence à ce que Malcolm X a déclaré en apprenant l’assassinat de John F. Kennedy. Il a dit que puisque les ÉU s’amuse à assassiner les chefs d’États qu’ils n’aiment pas partout dans le monde, qu’il est normal que la même chose arrive en réplique chez nous.
Le livre de Churchill est en gros un compte-rendu des génocides à l’interne contre les amérindiens et à l’étranger comme en Indochine ou des interventions qui contrevenaient à la loi internationale : son idée maîtresse est que la meilleure façon de protéger les Américains des terroristes est de s’arranger pour que les ÉU respectent la loi internationale.
Churchill est maintenant sous enquête, l’université du Colorado passe au peigne fin l’ensemble de ses écrits, à la recherche de propos haineux ou anti-américain.
La droite américaine s’amuse avec Churchill, l’utilisant pour dénoncer l’ensemble de la gauche radicale, incluant mes héros Noam Chomsky et Howard Zinn, ou tout autre intellectuel de renom qui ose critiquer la politique étrangère des ÉU ou le racisme qui règne encore dans le pays.
Le procès de Churchill aura au moins le mérite de provoquer un débat entre ceux qui souhaitent que la population américaine s’ouvre les yeux sur les actions criminelles des ÉU à l’étranger...
Et ceux qui croient que les ÉU sont bons de nature et qu’ils sont un phare de moralité pour le reste de la planète…comme à l’époque des colons puritains de la Nouvelle-Angleterre qui remerciaient Dieu de faciliter l’élimination des amérindiens.
La privatisation de la guerre
Le 19 mars de cette semaine sera la deuxième anniversaire de l’invasion de l’Irak qui, selon la revue prestigieuse Lancet, aurait causé la mort de 100 000 civils irakiens.
Pour faire face aux insurgés irakiens qui persistent toujours, il faudrait doubler, voire augmenter par dix le nombre de troupes de la pseudo-coalition menée par les ÉU.
Pour combler le manque de soldats, les ÉU n’hésitent pas à faire de plus en plus appel aux mercenaires.
Lors de la guerre du Golfe en 1991, 1 soldat sur 100 déployés par la coalition menée par les ÉU était un mercenaire : c’est-à-dire un soldat venant d’une entreprise militaire privée.
Aujourd’hui, en Irak, 1 soldat sur 5 est un mercenaire.
Depuis le milieu des années 90, le secteur militaire privé est l’industrie qui a connu la plus forte croissance au monde.
Les ÉU étant bien sûr son plus gros client, cette industrie valait de 100 à 200 milliards de dollars par année avant même l’invasion de l’Irak.
En ce moment, il y a 130 000 soldats des ÉU, 9000 britanniques et 15 000 autres de différents pays en Irak.
On estime qu’il y a 30 000 mercenaires sur place, ce qui en ferait la deuxième force militaire d’importance dans le pays.
Après les ÉU et la GB, le pays qui fourni le plus de mercenaires est l’Afrique du sud, qui font à peu près le tiers des forces privées en Irak.
Le bassin de ces mercenaires d’Afrique du sud ce sont l’élite des forces spéciales qui veillaient sur la population noire durant l’époque de l’Apartheid.
Les brutes de l’Apartheid sont des mercenaires de choix. Suite à des années de mercenariat à travers l’Afrique, on a crée une dizaine d’entreprises militaires privées qui ont transformées le métier de mercenaire en une entreprise légitime.
Mais en plus des soldats de l’apartheid, l’armée américaine fait appel à d’autres soldats tout aussi nobles qui étaient associés au régime de Pinochet, de Milosevic, des régimes brutaux de l’Amérique centrale et d’Israël.
Le danger avec les armées privées, c’est bien sûr le fait qu’elles ne soient pas obligées de répondre aux exigences démocratiques.
On risque de se retrouver, avec la force toujours croissante des entreprises transnationales, au retour des armées de compagnie qui ne répondront à rien sauf au but suprême de l’augmentation des marges de profits.
Et qui sait, peut-être que ces armées privées provoqueront des conflits dans le but d’atteindre leurs objectifs financiers ?
Le dangereux mélange de la politique et de la religion
Il y a un débat en ce moment chez nos amis du sud concernant l’affichage des 10 commandements sur les murs d’édifices publics.
C’est un autre beau projet de la droite chrétienne qui prend de plus en plus de place dans l’environnement politique et culturel aux ÉU.
Tant qu’à donner le feu vert pour accrocher les commandements, il faudrait au moins que ça soit la version en Hébreux et non pas une des variantes chrétiennes écrites 1000 ans après Moïse.
Le débat sur l’affichage des 10 commandements à peu à voir avec la religion et tout à voir avec la domination de l’arène culturelle.
La droite chrétienne voit les changements sociaux qui frappent les ÉU comme une menace à leur mode de vie, et leur seule réaction est de tenter d’effacer la barrière entre l’église et l’État.
La réaction de la droite chrétienne est très similaire aux fondamentalistes islamiques.
Au Moyen-Orient arabe et en Iran, devant la menace de l’hégémonie de l’empire américain, on insiste de plus en plus sur la loi islamique comme base à la vie politique.
Même chose en Israël, où on voit des menaces partout, on s’incruste de plus en plus dans une interprétation réactionnaire de la loi hébraïque.
Bush, en s’appuyant autant sur sa base électorale religieuse, pourrait se retrouver dans le même piège que le fondateur de l’Arabie saoudite.
Pour obtenir un appui politique, le roi Ibn Séoud a mobilisé le mouvement fanatique et ultra-religieux des Wahhabites, le noyau spirituel d’al-quaïda.
Une fois les liens cimentés, la famille royale saoudienne s’est trouvée à la merci politique d’un mouvement d’idéologues extrémistes et incontrôlables.
Ariel Sharon en Israël s’est trouvé dans la même situation, trouvant sa force politique chez l’électorat d’ultra-orthodoxes de droite et son mouvement de colonisateurs fanatiques.
Dans tous ces cas, ce que l’on cherche à faire c’est imposer un semblant d’ordre dans un monde qui est de plus en plus complexe et non pas à faire plaisir à un Dieu.
Y’a rien dans le Coran qui dit clairement qu’il faut couper la main d’un voleur ou de lapider une femme qui commet l’adultère ou même que les femmes doivent porter le voile.
Aux ÉU comme au Moyen-Orient, le fondamentalisme vient d’une nostalgie pour un passé imaginaire où le règne de la religion en faisait une époque dorée.
Heureusement que les pères fondateurs se souvenaient encore des guerres religieuses du 17ième siècle et qu’ils préféraient séparer l’église et l’État.
Il y a une profonde différence entre la religion et la politique.
La politique exige inévitablement des compromis, tandis que la religion comporte un idéal spirituel où le compromis peut-être fatal.
La politique fini toujours par pervertir le message religieux lorsque les deux sphères s’unissent.
On le voit en Iran, en Arabie saoudite, comme c’était le cas durant l’inquisition espagnole, la chasse aux sorcières, la peine de mort aux ÉU, la pression pour cesser l’accès à l’avortement, bref, l’émergence d’une justice fanatique qui n’a rien à voir avec la raison.
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